En cette ère de KPI (key performance indicators) et de metrics/mesures et autres processus du même acabit, pourquoi s’acharner à discuter encore de la mesure de la qualité ? Que vous soyez en train d’implanter un système de TQM (Total quality management), lean manufacturing, 6 Sigma ou que vous soyez occupé à mettre en place une culture d’amélioration continue, Kaizen, 5S ou autre, les mesures sont omniprésentes dans nos industries compétitives.

Drucker le disait bien : What you value, you measure.

Ou encore : if you want to manage it, measure it !

Ou même : if you can measure it, you can manage it !

Ou autre charabia du même genre.

Drucker a été un gourou de la gestion pendant plusieurs décennies et jamais je n’oserais remettre en doute les bienfaits de sa pensée réflexive.

Je m’interroge cependant : si la mesure d’une chose nous permet de la gérer, comment se fait-il que, malgré la complexité, la rigueur et la performance des systèmes de contrôle contemporains ubiquitaires, la qualité soit encore une préoccupation ?

En fait, la recherche et le maintien de la qualité DOIT demeurer une préoccupation.

Ma question est donc reformulée : Pourquoi avons-nous encore des problèmes de qualité?

 

J’ose proposer la raison suivante : notre emphase à mesurer la qualité en terme de % de qualité et % de rejet, c’est-à-dire la notion de niveau de qualité acceptable NQA ou AQL.

 

Anecdote à l’appui. Je dois admettre ne pas avoir la source de cette anecdote. Peut-être un mythe urbain ! Mais comme tous les mythes et légendes, cette histoire contient une belle leçon.

Un manufacturier américain décide de sous-contracter sa production de pièces électroniques au Japon. Celui-ci se targue d’avoir un taux de rejet de 6 unités sur 10 000 et insiste avec force auprès de son sous-traitant pour que ce niveau de qualité soit respecté.

Des contrôles sont mis en place.

  • Le personnel est formé.
  • Les machines sont inspectées.
  • Des auditeurs américains accompagnent ceux du sous-traitant et s’assurent que tout baigne dans l’huile !

Tout semble prêt.

Le premier lot arrive en sol américain accompagné des Certificats d’Analyse appropriés. Le test est sans équivoque : le niveau de qualité demandé a été respecté ! Le manufacturier est satisfait.

Par acquis de conscience, le grand patron déambule dans l’entrepôt et ouvre au hasard une des boîtes de composants électroniques. Ces derniers sont minuscules et sont emballés à raison de 10 000 unités par boîtes. Le PDG ouvre la boîte délicatement, bien heureux que l’étiquette indique clairement “NE PAS UTILISER UN OBJET COUPANT ! CONTENU FRAGILE !” en quatre langues. Et le choc émotionnel qui s’ensuit le fait tomber à la renverse.

Il ouvre une autre boîte au hasard et la même chose se répète. Encore une autre boite, et une autre et encore un autre.

Dans chaque boîte de 10 000 unités se trouve un petit sac scellé contenant 6 unités défectueuses et une copie du CofA.

La morale : ce manufacturier avait un niveau de qualité acceptable de 6/10 000.

Le sous-traitant lui n’avait pas de niveau acceptable de non-qualité.

Niveau de qualité acceptable.

À bien y penser, pourquoi doit-on mettre en place un système complexe pour mesurer un niveau de qualité acceptable ? Il est si simple d’éliminer la notion, le concept de niveau acceptable au profit du concept de QUALITÉ, point final.

Ah, mais cette notion est utopique. Il y aura toujours un faible pourcentage de défaut.

Vrai.

Le concept de qualité en majuscule n’est donc pas associé à une mesure.

En effet, si on continue à mettre de l’emphase sur la mesure, et sur le niveau de qualité acceptable, on insiste également sur le fait qu’un certain niveau de NON-qualité est acceptable. On influence donc la production à performer seulement jusqu’à ce niveau de qualité ACCEPTABLE. On tolère ainsi la non-qualité.

Quoi faire d’autre, me lancerez-vous ?

Et si on revenait à la source de la qualité ?

Il est utopique de garantir une qualité totale si on continue à se fier à nos systèmes et machines qui sont faillibles, malgré leurs performances étonnantes. Ces équipements modernes continueront d’effectuer leurs tâches selon les spécifications qui leur auront été imposées. Point final. Nul besoin de leur en vouloir.

Les humains derrière ces machines et équipements n’ont pas de telles limites. Le cerveau humain a un potentiel de résolution de problème infini ou presque. Et un sens inné de la qualité.

Qui n’a pas “senti” rapidement la piètre qualité d’un produit de consommation de contrefaçon simplement en le touchant ? Il suffit de toucher un faux “Nike” pour instinctivement “sentir” la non-qualité sous le prix ridiculement bas de la chaussure. De la même façon…

  • un opérateur expérimenté saura que quelque chose “cloche” dans le procédé
  • Un mécanicien “écoute” votre moteur pour trouver la source du “petit” bruit
  • Un médecin chinois vous regarde le blanc des yeux, la couleur de vos ongles ou autre et sent votre haleine pour diagnostiquer votre problème de santé

Les exemples sont légion : l’intuition (faute de trouver un autre mot à expérience-étude-réflexion-et-compréhension -globale-d’un-système) fonctionne encore.

Malcom Gladwell, dans son excellent livreBlink, le confirme : l‘être humain a une propension à SAVOIR, en un clin d’oeil, le niveau de qualité d’un système, d’une relation, d’une mécanique, etc.

 

Saviez-vous qu’il est possible de faire sauter des puces à des hauteurs très précises ? Il suffit de mettre les puces dans un bocal et de refermer le couvercle. Les puces ainsi prisonnières sauteront à leur plein potentiel… et toucheront rudement le couvercle. Après quelques sauts, ces insectes à l’intellect limité apprendront quand même que certains comportements sont néfastes… et douloureux. Rapidement, leurs sauts s’ajusteront à la hauteur imposée par la taille du bocal. Différentes tailles de bocal, différentes hauteurs de saut.

La partie pathétique de l’histoire est qu’une fois ce comportement appris et douloureusement acquis, la puce ne sautera jamais plus haut. Même si le couvercle est retiré.

L’analogie avec nos systèmes de qualité est évidente.

  • Pendant des années, nous avons imposé une hauteur de bocal.
  • Pendant des années, nous avons mis en place des couvercles.
  • Pendant des années, nous avons utilisé des standards et des exigences minimales
  • Pendant des années, nous avons récompensé l’atteinte de ces standards
  • Pendant des années, au nom des économies d’échelle et des restructurations, nous avons également imposé une limite au coût de la qualité.

Et cela a fonctionné.

Malheureusement.

Une fois la limite bien établie, il devient difficile de la changer et de changer la culture qui la supporte.

Et un nouveau système de mesure informatisé ne réglera rien.

 

Si le sous-traitant japonais a pu éliminer la notion de NQA en ségréguant les rejets et en assurant ainsi la QUALITÉ en majuscule du produit.

S’il est possible d’entraîner une puce à sauter à une hauteur prédéterminée.

S’il est possible de diagnostiquer un problème mécanique en “écoutant” un moteur.

Il est aussi possible de faire confiance au cerveau humain pour qu’il atteigne le seul niveau de qualité acceptable : celui de la QUALITÉ.

 

Et c’est ici que je retourne à un concept qui m’est cher. De plus en plus cher en fait.

Plutôt que de focaliser nos efforts d’amélioration de la qualité sur les systèmes complexes, pourquoi ne pas revenir à la source ?

La gestion de la qualité passe par la qualité de la gestion.

La gestion des gens.

La qualité, c’est d’abord des gens de qualité.

Car le cerveau humain, le potentiel humain n’a pas de limites.

Sauf celles qu’on lui fait croire.

Par François Lavallée, M. Sc.

 

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