Éthique de foule et culture de métal

(estimation du temps de lecture : 10 minutes)

Lors d’un récent concert d’un groupe de Heavy metal très populaire et instigateur de la vague métal des années 80… bon, ok, finies les plaisanteries, je suis un fan fini de Iron Maiden!

Reprenons.

Lors de ma présence au concert montréalais de la tournée Legacy of the beast (bin, oui, l’imaginaire des groupes de métal hurlant tournent encore autour des histoires de la « bête », de Satan, mais aussi de critiques sociales, etc.) j’ai pu observé des comportements douteux dans la foule bigarrée.

Le plus étonnant dans le public de ce groupe qui roule sa bosse depuis 1979 (qui peut se vanter de faire du rock and roll pendant pus de 40 ans ? Hmmm, de plus en plus de groupes en fait… et y en a qui nous disent nostalgiques.. pfff) c’est de voir les fans de la première heure, dont moi, accompagnés de leur progéniture ou de leur petits-enfants. On est loin des foules de métalleux violents qui se battaient contre les punks à la fin des années 70. Il est toujours agréable dans une foule de métalleux de voir la bonne humeur, les sourires, les tatous et les T-shirt noirs arborant fièrement les images de leurs groupes préférés. Lors de ce concert, la mascotte Eddie était bien sûr aux premières loges!

Contrairement à plusieurs autres groupes, les chansons de Iron Maiden se chantent en passant. Des hymnes « métal », ils en ont à revendre depuis 40 ans!

Autre constatation, le soin du chanteur de nous parler presque tout au long du concert en français. Un bon français en passant. Toujours apprécié par les foules du Québec.

Beaucoup d’énergie, comme à tous les concerts de Iron Maiden (on dit juste « Maiden », en passant…).

Les spectateurs les plus énergiques choisissent en général les places sur la patinoire, les places debout. On les voit ,du haut de nos sièges dans les gradins, qui sautent pendant les passages de « gallop », un élément typique aux chansons de Maiden.

Là où ça se gâte, est lorsque des enthousiastes se lèvent dans les gradins. Suivent des cascades de gens qui se lèvent à leur tour, car, bien que la pente des gradins du Centre Bell soit suffisamment escarpée pour faire peur, quand le mec de devant toi se lève, il te cache la moitié de la scène.

Rien de bien grave me direz-vous : le gars devant se lève, tu te lèves, tu pompes un peu les airs en flashant le signe universel du métal (le fameux maloik de RJ Dio

 

maloik

Et tu te rassis quand le mec devant toi en a assez… on espère.

Eh oui, le heavy a une histoire et une culture.

C’est justement de cette culture qu’on parle ici.

Une culture de rébellion, mais aussi de joie de vivre.

Une culture d’énergie (les mosh pits sont assez intenses!) et de rythme rapide.

Une culture en général de respect.

Sauf quand…

Le gars devant toi ne se rassoit pas et que toi tu ressens ton âge après 40 ans de loyaux services envers un groupe que tu apprécies.

Oh, me direz-vous, que fait un bonhomme de 55 ans à un spectacle de heavy metal? 

Il apprécie son spectacle… à un autre niveau que le fan de 15 ans sur la patinoire, mais non-moins intensément.

Sauf, quand le gars d’à côté lui, capote parce que le mec devant refuse de s’assoir.

Comme dans toutes les situations sociales qui nous agacent, une personne normale va tolérer un certain temps. 

Pour ensuite, en bon québécois tolérant, gentiment demander de corriger la situation.

« Scuse man, tu voudrais pas de baisser… tu me caches “un peu” 90 % de la scène »

Et en général, lorsqu’on se fait interpeller de la sorte, on a tendance à bien répondre et à tenter de corriger la situation.
Sauf au Centre Bell quand le mec en avant du mec en avant est lui aussi debout.

Alors on prend son trou… pour un temps… et on recommence… et la tension monte jusqu’à faire intervenir le gardien de sécurité qui n’accepte pas qu’on écoute le show dans l’escalier pour mieux voir.

Discussion avec le gardien qui s’en mêle de plus belle pour dire aux contrevenants de se baisser.

Bin oui, ils vont se rasseoir gentiment pendant LEUR toune préférée de Maiden…

Bin oui, ils vont arrêter de chanter à tue-tête en brandissant leur signe du démon bien haut d’une main et leur bière à demi pleine (ou à moitié-vide, c’est selon votre point de vue en regard d’une bière insipide à 10$) qui menace d’asperger tous les spectateurs des gradins des niveaux inférieurs.

Bin oui, ça va bien se finir et on va tous écouter le show ensemble, en souriant béatement, sans bouger… pendant un show de Maiden !

Le show terminé le mec de devant se retourne ou nous jette des « killer looks » en nous menaçant… il est clair que cela signifie « si je te revois à la prochaine dance en ligne, je te fais un croc-en-jambe! »

En discutant avec les offensés à la fin du spectacle, tout tourne autour du respect, du manque de respect, etc.

Je pense plutôt aux interventions des gardiens de sécurité, interventions assez musclées verbalement. Je pense aussi

  • Aux gens qui ont accepté de se rasseoir… un court moment.
  • À ces gens qui ont plutôt décidé de se foutre des consignes…
  • À ces gens qui ont décidé d’apprécier leur spectacle… eux aussi ont payé pour du bon temps
  • À ces gens qui nous ont menacés à la fin…
  • À ces gardiens qui ont tenté de changer la situation par la coercition…

Et, fidèle à mon habitude, aux cultures de conformité et d’uniformité de nos organisations, de nos gouvernements.

Et à tous les moyens que les employés utilisent pour contourner les règles et procédures en place tout en se réfugiant derrière celles-ci pour se déresponsabiliser lorsqu’un problème survient…. Désolé, je ne fais que respecter les règles… cette fois-ci!

Et aux tentatives répétées, et la plupart de temps inefficaces, de forcer les gens à se conformer à ces règles.

Et aux circonstances, presque toujours de crises, pendant lesquelles la force et la coercition sont utilisées pour » régler la situation ».

Clairement, on sent quelque chose qui cloche… et qui résonne fort, à chaque fois.

On attribue à Einstein la citation suivante :

Faire la même chose chaque fois et espérer des résultats différents s’appelle la folie.

Malgré la source douteuse de cette citation, elle résonne fort également… pour ne pas dire qu’elle raisonne.

Des milliers de livres sur la gestion sont disponibles à un clic de distance. Livrés le lendemain dans certains cas. Les possibilités d’apprendre de nos erreurs et de celles des autres (toujours une option plus confortable) sont tellement nombreuses… je tente de lire environ 1 livre par semaine depuis presque 20 ans. Pas toujours des livres sérieux, mais des livres quand même. Chaque livre apporte sa leçon… de vie, de leadership, de gestion, etc. Oui, même les bandes dessinées… pour peu qu’on s’y attarde.

Chaque semaine donc, je me plonge dans un univers qui n’est pas le mien et surgissent spontanément des liens entre ma réalité, la vôtre et celles du livre . Des liens qui m’incitent à réfléchir, encore et encore…

Et encore, et encore je tire la même conclusion… on ne réfléchit pas assez.

Un moment de crise n’est pas le bon moment pour le faire.

La réflexion surgit toujours dans un moment de détente, de respect et de confiance.

Ces moments qu’on néglige à initier dans nos organisations.

Une culture,

ça ne se force pas,

ça ne s’impose pas,

ça s’observe.

Malgré ce que plusieurs gestionnaires qui me parlent de leur désir de « changer la culture. Niels Pfleaging le dit bien dans son excellent livre “ Organize for complexity “:

 

La culture est l’ombre d’une organisation.

Pas ombre dans le sens du côté obscur… mais ombre dans le sens qu’on ne peut la saisir, qu’elle est une conséquence ou un reflet des comportent courants des gens de l’organisation.

Culture de transparence! 

OUI, c’est un bel énoncé sur un mur, mais quand on regarde l’opacité des communications et le refus de certains dirigeants de partager avec ‘les vraies affaires’ on se pose des questions.

Culture d’intégrité !

Oui, oui, sauf que l’employé qui aurait le courage d’annoncer à son patron qu’un problème a généré un défaut de fabrication et qu’il faudrait retirer du quota deux ou trois palettes de la production quotidienne… cet employé porte rapidement le blâme des retards et des ‘back order’… et comprend rapidement que l’intégrité, c’est un mot qui sert à mettre des décorations sur le mur et à remplir les feuillets publicitaires.

Je pourrais continuer longtemps.

Ces mecs frustrés autour de moi au centre Bell dénotent la vraie culture de la foule. ON se fout des autres. Laisse-moi apprécier mon show. 

La pseudo-coercition du gardien est elle aussi symptôme de la culture… on n’y croit pas. Je suis juste payé pour jeter un coup d’œil… il me faut une surprime pour faire peigner l’ordre.

Et ceux qui sont irrités par les autres qui se lèvent, ceux qui s’offusquent des irrégularités des ‘autres’ et qui ne font rien pour régler leurs problèmes… ceux-là aussi font partie de la culture de laisser-aller qui nous entoure (remarquez que le mec à côté de moi a agi promptement).

Je vois dans plusieurs organisations l’ombre de leur organisation. Il est souvent difficile pour eux de voir leur ombre puisqu’ils regardent plutôt dans la direction du soleil-profit. L’ombre est dans l’autre direction. Même quand le soleil-profit diminue, il jette une ombre par-derrière.

Et cette ombre peut devenir le côté obscur de la Force lors des crises. Les symptômes subtils qu’on remarque ne sont exacerbés pendant une crise.

Une crise n’a nul besoin d’être majeure pour que la culture monte au premier plan.

Un taux d’absentéisme (peut-être dû à la culture toxique) plus élevé que la normale va induire des symptômes du survivant… tous vont travailler plus fort et plus rapidement… le moindre problème va prendre des proportions immenses. Chacun voudra tirer son épingle du jeu. On oublie de vérifier adéquatement une tâche, on s’emballe et on emballe moins efficacement, on se crie des noms, on se pointe du doigt, on cache les problèmes (oh ce n’est qu’un tout petit défaut..), on ‘oublie’ de mentionner des erreurs minimes, on documente… juste le nécessaire… pas besoin d’expliquer tout ça… de toute façon on n’a pas le temps…

Crise majeure?

Pas vraiment puisqu’elle se répète la semaine suivante.

Je me limite à un seul exemple en cette période de pénurie de main d’œuvre. Je pourrais en écrire encore pendant 150 pages au moins.

E je ne peux que m’étonner des solutions proposées… ou de l’absence de solution. Comment voulez-vous trouver une solution quand le problème n’a pas été identifié.

Absentéisme ? Non.

Pénurie de main d’œuvre ? Non.

Je vois plutôt des symptômes d’un problème plus grave, un problème de culture. Cette même culture qui n’est que l’ombre de nos comportements organisationnels et opérationnels.

Une preuve d’Actualité ( 2019-08-14) : L’Economic Policy Institute vient de publier un rapport sur la rémunération des dirigeants depuis 40 ans.   Mêmes constations au Québec en passant. Le comportement de nos dirigeants depuis 40 ans a été orienté vers la course au profit, celui de leur organisation et le leur. Alors que l’employé moyen a bénéficié (le mot est fort) d’une augmentation de 12 % depuis 40 ans, leurs patrons en ont profité pour se voter autre chose… de 78 fois plus grand. Oui 940 % d’augmentation. 

Oh, me direz-vous, la bourse a elle aussi augmenté de 700 %..bien sûr, bien sûr… mais pourquoi cette augmentation n’a-t-elle été profitable qu’aux patrons?

  • Tout le monde comprend que le patron a de grandes responsabilités.
  • Tout le monde comprend qu’un entrepreneur fondateur aura travaille sang et eau pendant des années pour arriver là.
  • Et tout le monde comprend que l’état actuel des choses démontre une profonde déconnexion entre les deux castes de gens. 

Et oui, personne n’aime l’utilisation du mot ‘caste’. C’est cependant la nouvelle réalité.

Comme un employé normal peut-il avoir confiance en son patron et en les valeurs de la compagnie qui le fait vivre quand les profits sont engrangés vers un seul pôle, celui des pêches du patron ? Les investissements en capital et en développement des ressources humaines (oh, comme je déteste cette appellation!) ne cessent de diminuer. L’efficacité des entreprises québécoises est notoirement inférieure au reste du Canada et des États-Unis. Je n’ose même pas nous comparer aux entreprises asiatiques…

Comment un employé peut-il avoir la passion, l’engagement, la diligence et le professionnalisme requis quand l’exemple que nous donnent les dirigeants démontrent que rien ne compte en bout de ligne à part le bonus annuel ?

La culture n’est que l’ombre des comportements de nos organisations.

Éthique de foule et culture de métal

Ça s’est passé au Centre Bell pendant un concert.

Ça se transpose dans toute les organisations que j’ai côtoyées depuis 1986, alors que je commençais mon PhD en biologie moléculaire (et c’est une des raison qui m’ont poussé à interrompre le tout pour sortir avec une Maîtrise…la honte du département de médicinal expérimental eue McGill!) et ça continue depuis 2005 dans ma propre compagnie… 

Éthique de foule et culture de métal

C’est ce qui se passe spontanément pendant un concert de Heavy Metal 

ou dans une usine quand ça brasse en production

Ou dans un bureau de comptable pendant la période des impôts

Ou chez un grand constructeur d’avion pendant une énième réorganisation

L’ombre de nos comportements habituels…la culture qui s’observe, se perçoit sans vraiment pouvoir être définie précisément sur une affiche motivante ou une procédure de déontologie mais qui se comprend bien par une nouvel employé qui tente de faire autrement.

Cette culture qui n’a pas besoin d’être expliquée, qui se sent, qui se vit à un niveau explicite lors d’un écart 

Éthique de foule et culture de métal

Éthique de foule et culture de métal

Une culture ou une piece de métal, Le métal, ça se forge, un coup de marteau à la fois.

Ça commence par une prise de conscience…réaliser que la forme actuelle ne convient pas.

Ça se transforme en  changement d’attitude…préparer et attiser le feu de la passion!

Mais une attitude ne change rien à la culture sans changement de comportement

Ces comportements se changent, un à la fois. Patiemment et avec persistence.

Une personne à la fois.

Par qui ce changement va-t-il commencer?

Indice : quel est le type de photo le plus populaire sur les réseaux sociaux ?


Crédit photos

Forge :  Mael BALLAND on Unsplash

Maloik  : https://illuminatisymbols.info/eminem-devils-horns/

Foule Métal : Anonyme.

 


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