Cinq singes, une douche et une banane : triste histoire de mon collègue

Presque tout le monde la connaît celle-là.

Cinq singes cohabitent poliment dans une cage. (Bon j’avoue que je ne serais moi-même pas beaucoup poli si j’étais dans une cage avec 4 congénères, observés par des chercheurs un peu sadiques…)

On ajoute une échelle dans la cage et on accroche un régime de bananes au bout de l’échelle.

Hey, même un singe dont l’intellect est de niveau inférieur sait quoi faire dans ces conditions! Ce qu’il fit !

Le plus rapide des cinq commença l’ascension suivi des autres, un peu déçus, mais confiants de pouvoir arracher quelques bananes au victorieux primate.

Mais voilà… nos astucieux chercheurs, sans doute des Ph.D. en psychologie sociale, un domaine particulièrement intéressant, ces chercheurs ont bien planifié leurs expériences …

Une fois le régime de bananes atteint une violente douche froide, voire glaciale, tombe en trombe sur nos intrépides macaques.

Ces derniers tombent sur le plancher. La douche arrête. Les intrépides, mais très mouillés macaques remontent sur l’échelle et s’approchent de l’objet de leur convoitise.

Et, oui.. la douche repart de plus belle au premier contact avec le régime de bananes et nos ancêtres évolutionnaires se font encore une fois tous glacer!

On a beau être au bas de l’échelle de l’évolution (ben oui, une autre échelle frustrante!), nos singes commencent à comprendre le jeu. Nos cinq singes regardent avec envie le régime de bananes et recommencent à gravir les échelons. Celui qui atteint la cible n’est plus le plus rapide, mais simplement le plus con. Les autres attendent de voir ce qui se passera et, bien sûr, tous se font à nouveau asperger.

Quand cet intrépide, mais plutôt stupide singe se remet à monter, les autres n’ont qu’une réaction : sauter sur le malheureux et le battre pour lui faire comprendre qu’une douche par mois, c’est suffisant!

Lorsque que le persistent (une qualité en d’autres circonstances), mais plutôt idiot macaque se relève, secoué, mais toujours affamé, et se dirige vers l’échelle à nouveau, le reste de la troupe lui relance le message… et quelques coups .

Les psychologues appellent cela du conditionnement.

Le régime de bananes est sauf.

Aucun singe ne pourra maintenant manger de bananes qui pendent au plafond. Chaque tentative est récompensée par des coups et blessures et le groupe apprend rapidement à regarder ailleurs.

On est singe mais quand même….

Là où l’expérience devient fascinante est quand on retire un des singes originaux pour le remplacer par un nouveau. Ce dernier, d’abord un peu timide, regarde les autres macaques et aperçoit soudain le régime de bananes. Étant un animal assez social et comprenant bien les règles d’un groupe, il se demande qui est le chef, qui nettoie la cage, qui apporte la nourriture…

Heu, non.

Il se précipite simplement sur le régime de bananes en se disant peut-être que les autres sont bien fous de ne pas se lancer sur cette succulente collation. En assumant que ce singe peut en effet avoir ce genre de réflexion (rien de moins sûr!) nous pouvons assurer que tout processus cognitif aura été interrompu froidement par la douche qui suivit.

Mais non… le singe n’aura pas eu le temps de monter plus que quelques échelons avant que le reste du groupe se donne une mission d’éducation de la plus haute importance et lui inculque une grande leçon à grands coups de pattes :

ON

NE

TOUCHE

PAS

AUX

BANANES!

Le pauvre comprend rapidement et ne répète pas l’expérience trop souvent.

Nos astucieux chercheurs retirent progressivement les autres singes originaux de la cage pour les remplacer par des nouveaux fraîchement arrivés. Même comportement initial du nouveau, même réaction des « vieux ».

La fascinante conclusion approche. Lorsque le dernier singe présent au début de l’histoire fut retiré, aucun des singes maintenant présents dans la cage n’avaient reçue de douche froide.

Mais tous avaient reçu la leçon de vie.

ON

NE

TOUCHE

PAS

AUX

BANANES!

Le même type de conditionnement est utilisé pour retenir les éléphants dans les cirques. On attache un bébé éléphant avec une lourde chaîne reliée à un solide pieu. L’éléphant tire et tire encore, mais ne réussit pas à se détacher. Le jeune éléphant est ensuite attaché avec une restreinte de plus en plus fragile, mais n’essaie même plus de s’échapper. Le simple fait d’attacher une ficelle à sa cheville suffit à lui faire comprendre le message. Il est captif.

Et chez vous ?

Quels types de comportements sont-ils punis ?

Quels types de règles explicites ou implicites sont-elles en vigueur pour vous envoyer un message de conformité?

Conformité aux règles.

Conformité à la culture.

Conformité à la gang…

Toutes les organisations ont de telles règles qui ont été mise en places ou instaurées progressivement pour, assumons, de bonnes raisons.

Que ce soit la rédaction de rapport mensuel d’activités, les objectifs ou KPI corporatifs, les évaluations de performance biannuelles, le « forced ranking » de vos employés, la répartition des bonus… la plupart des organisations envoient des messages et les employés comprennent les conséquences…

Y a-t-il une « procédure » pour faire un achat de matériel?

Une autre procédure pour demander la permission de prendre des journées de repos?

Une permission à demander pour quitter le poste de travail et aller prendre l’air 5 minutes?

Une pause à heure déterminée, bien précise?

Oh, et un processus bien spécifique pour prendre une initiative sans demander la permission?

Et qu’arrive-t-il si, oh malheur, un individu allait à contresens et ne respectaient pas ces façons de faire?

Hey, ne fais pas ça, le boss va t’engueuler!

Hey, on ne fait pas ça comme ça ici!

Hey, arrête tout de suite, la dernière fois toute l’équipe a payé pour cette « erreur »!

Hey, fais donc comme tout le monde, et tout le monde va avoir sa prime de rendement.

Hey, ne va pas trop vite, tu risques de nous faire mal paraître aux yeux du boss…

Hey !

Hey!

Hey… Arrête donc simplement de penser à des améliorations et fais ce qu’on te dit de faire.

(Note : j’ai volontairement omis les jurons et onomatopées qui accompagnent la plupart des remarques… de toute façon, entendre des jurons peut être vraiment très drôle, mais, franchement, ça s’écrit mal et je n’aime pas les *&%&**… tellement insipides!)

Bref… la culture, ça ne s’apprend pas dans une procédure, ça se vit.

Niels Pflaeging dit que la culture, c’est l’ombre d’une organisation. On ne voit jamais la culture, mais on en perçoit l’ombre… subtile, mais persistante.

Quelles autres manifestations de votre culture déclenchent-elles une douche froide?

Comment vos nouveaux collègues sont-ils éduqués à votre culture?

Quels moyens pouvez-vous prendre pour éviter cette conformité assassine?

Un de mes collègues a trouvé la solution. Il a survécu pendant un temps à la culture de l’entreprise où il a évolué pendant 7 ans.

Il a décidé de faire les choses de la bonne façon, pour les bonnes raisons. Il a trouvé une autre échelle à grimper, une échelle au-dessus de laquelle il n’y avait pas de douche, mais au bout de laquelle résidait un autre régime de bananes.

À force de tout faire différemment il a su rassembler autour de lui des collègues pensant et agissant comme lui. Un à la fois.

Jusqu’à ce qu’une force hiérarchique supérieure lui retire les collègues et diminue la troupe de fidèles autour de lui.

Il a persisté.

Il a réussi à changer certains aspects de la culture

Il a progressivement « oublié » de remplir les objectifs corporatifs pour se concentrer sur la mission qu’on lui avait confiée, envers et contre tous. Il a aussi consciemment fait fi de ses objectifs et KPI personnels afin de mieux réaliser les projets qu’on lui confiait. Projets qu’il a complétés avec succès.

… avant de démissionner après de maintes tentatives pour passer un message différent au comité de gestion.

Sans succès…

Démission donc…la tête haute.

(Pour la petite histoire, au moment de sa démission, et malgré le non-respect des KPI, on lui annonça qu’on avait l’intention de lui accorder une note parfaite pour son évaluation de performance et un score parfait pour l’atteinte de ses objectifs…)

La culture, c’est une série de comportements individuels et ça se change un comportement à la fois, un individu à la fois… avec une vision collective forte et claire.

Cette vision, comme le mentionnent des dizaines d’auteurs, DOIT venir du haut de l’organisation.

Ah, mais je tombe ici dans un qualificatif de la gestion traditionnelle…

Le « haut »…

La haute gestion, « upper management », « middle management »…

Henry Mintzberg souligne qu’on ne parle jamais de « lower management »… signe annonciateur de la faillite, de l’échec du système de gestion traditionnel.

Bref, la vision DOIT provenir du comité de gestion, qu’il soit au haut de la pyramide, au centre de la pêche (Organize for complexity ) ou répartie à travers les unités fonctionnelles (Holacratie ou autre).

Le rôle le plus important du comité de direction est probablement de clarifier cette vision, la raison d’être de l’organisation, le grand POURQUOI de toutes les actions de l’organisation.

Communiquer la vision.

Souvent.

À chaque occasion.

Tout le temps…

Clarifier la raison d’être.

Permettre aux gens d’accomplir cette vision, cette mission, en facilitant leur actions, en leur donnant l’autonomie nécessaire, avec les connaissances requises pour qu’ils deviennent meilleurs…

Dan Pink, dans son excellent ouvrage « Drive » parle de trois facteurs de motivation :

Autonomie

Compétence

Sens

Carney et Getz mentionnent quant à eux l’affiliation, l’autonomie et le sens.

On entend beaucoup parler des entreprises « libérées » depuis quelques années.

Liberté implique aussi le courage de faire les bonnes choses.

Ça commence par un choix personnel

Viktor Frankl, psychologue et survivant des camps de concentration disait : Entre le stimulus et la réponse existe un espace. Dans cet espace se situe notre pouvoir de choisir. Dans ce pouvoir, notre croissance et liberté.

Mon copain choisissait d’agir.

Il préférait demander pardon que permission, à l’intérieur de sa zone d’autorité.

Son successeur lui, demandait toujours permission d’agir… et agissait peu, toujours dans la même zone d’autorité.

Au risque de me répéter, Ça commence par un choix personnel.

Plus facile quand le patron est convaincu.

Mais pas nécessaire…

Plus facile si la douche est moins froide ou les bananes plus accessibles.

ET si les cinq singes décident de faire la même chose, la bonne chose.

Mas pas nécessaire…

 

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