Quand la pyramide ne tourne pas rond.

Regardez bien les grandes pyramides de Gizeh.

Construites en 2000 avant notre ère, elles défient le temps. Solides. Stables. Immuables. Difficile de les faire bouger d’ailleurs. Mais victimes de l’érosion tout de même. 

Elles défient le temps, mais pour combien de temps ?

Mon estimation : encore assez longtemps.

J’utilise cette métaphore pour décrire nos méthodes de gestion, de management, comme disent nos cousins français. 

Telles les pyramides : 

« Solides. Stables. Immuables. Difficile de les faire bouger d’ailleurs. Mais victimes de l’érosion tout de même. »

Nous avons tendance à oublier que ces méthodes n’existaient pas sous cette forme avant les premières ébauches de structure hiérarchique de McCullum lors de la construction des rails aux É.-U. en 1855.

J’ai déjà utilisé cette image mai la revoici. Une œuvre d’Art.

McCullum Org chartBy Daniel McCallum & George Holt Henshaw, 1855—File: Organizational diagram of the New York and Erie Railroad, 1855 :Organizational diagram of the New York and Erie Railroad, 1855

 

160 ans d’organigrammes et nos organisations, sociétés sont maintenant sclérosées. Des bureaucraties à deux vitesses : lentes ou immobilisées. Peuplées d’humains qui fonctionnent à des vitesses naturelles très différentes. Peuplées d’humains aux idées folles, animées par la course de la vie et de la survie et qui peinent à évoluer dans ces organisations gérées par des disciples des Principes Scientifiques de la gestion, de Frédéric Taylor. 

Ce dernier a écrit l’Essence de ses principes en 1911.

Je dois avouer qu’à la lecture de ce court livre (80 pages… quel monstrueux impact par page !!) je fus très surpris d’approuver de grands passages.

Oh, il faut le remettre en contexte : on entre dans l’ère industrielle depuis quelques décennies, les artisans et agriculteurs envahissent les villes et sont peu éduqués, les enfants travaillent dans les usines et doivent être entraînés à suivre les consignes dans un système scolaire développé pour servir les industries (on ne parle pas, on travaille, on sort au son de la cloche, on entre au son de la cloche, on écoute les consignes… pouf.. de parfaits petits employés.). Frédéric Taylor était un humaniste, contre toute attente. Son objectif ultime était de rendre la vie des travailleurs plus facile et de leur garantir un salaire décent.

Son livre se résume à 4 grands principes;

  1. Bien comprendre le travail pour éviter l’inefficacité
  2. Formation structurée pour les employés
  3. Coopération entre employeurs et employés
  4. Responsabilisation de chacun en lien avec ses tâches

Beaucoup de bon sens.

MAIS… j’ai l’impression que les principes 2 et 3 ont été… un peu… oubliés. Et le principe 4 fut utilisé pour amplifier… un peu… la part du patron pour justifier des hausses de salaire… un… peu.. excessives, tout en enlevant « esprit d’initiative et de responsabilisation des employés. »

Le « command and control » était né!! Taylor avait bien séparé la tête et les bras des industries.

Je résume cela à : « y’en a qui pensent et y’en a qui poussent »

Et cette façon de penser a évolué. 

Et les grandes écoles de « business » ont été créées pour assurer la pérennité de ces principes. M. Sloan, le fondateur de GM, en fondant aussi le Sloan Business School s’est aussi assuré de former SES cadres pour gérer SES usines.

Je discutais avec des diplômés de grandes écoles de business en 2017. Leur verdict, plusieurs professeurs (pas tous!) ne sont pas alignés avec la réalité du XXIe siècle, les nouvelles tendances managériales ne sont pas couvertes dans les curriculums ou sont fortement contestées.

De plus ,en discussion avec Harold Jarche  récemment, nous abordions ce sujet et un de ces blog post résume la situation 

Les écoles de business : Une technologie du siècle passé!!

Les pyramides sont difficiles à bouger en effet!!

Et ces structures n’existent pas dans la nature. À cet égard l’organigramme de McCullum est intéressant. On y voit presque une structure fractale, une répétition de la structure de base. On croit voir une fougère, ou du moins, on ressent une impression « organique ». En regardant de près on s’étonne de la complexité de cet organigramme tout en se disant que nos grandes organisations ne sont pas si différentes, bien que plus carrées.

organigramme gouvernement du Quebec

Oh, je vous entends déjà : cette grande complexité est due à la taille de nos organisations.

Peut-être.

Lors des grandes fusions de compagnie, de villes, de ministères, on parle toujours d’économie d’échelle.

L’histoire nous a pourtant démontré que ces économies ne se réalisent presque jamais. La bureaucratie requise pour gérer cette fusion, couplée à cette compulsion des bureaucraties de s’autoperpétuer, ne résultent qu’en plus de bureaucraties, plus de lenteur et ultimement à un échec lamentable… et prévisible.

Goeffrey West décrit bien ces économies d’échelle dans son récent livre « Scale »alors que les économies d’échelle ont été bien étudiées pour les organismes vivants (démontrant ainsi que Godzilla ne peut exister… désolé les amis… ce n’est qu’un film!!), G. West démontre à l’aide d’algorithmes complexes (G. West est un physicien de formation!) que ces économies peuvent aussi être appliquées pour les compagnies et les villes.

Une de ses conclusions… TOUTES les compagnies finissent par mourir.

Une autre de ses conclusions, les villes sont presque éternelles… enfin, les villes n’ont pas encore atteint la taille qui les ferait mourir.

AH!

J’ai adoré lire ce livre et les vidéos de G. West (en voici un). J’y ai vu une foule d’exemples qui valident ce que j’appelle la biologie organisationnelle, l’étude de la vie dans les organisations. La vie est l’ultime exemple sur lequel nous devrions baser nos structures, l’ultime modèle de complexité fonctionnelle.

Dans le Macroscope, Joël de Rosnay donne l’exemple du corail, dont les organismes fournissent leur propre support structural, ce support aidant en retour les organismes à se reproduire et à entretenir la structure. Une symbiose parfaite.(Plus de détails ici). Les villes remplissent un peu cette fonction. En maintenant les infrastructures, leurs citoyens peuvent agir librement à l’intérieur de la ville et, en utilisant les infrastructures et en contribuant à leur entretien (ah les fameuses taxes), une ration symbiotique s’installe.

La clé de ce succès : la responsabilité de la vile de maintenir les structures (on  peut cependant discuter sur la justesse de ce propos depuis quelques décennies… négligence et politicailleries ont malheureusement dégradé les structures) ET l’absence de contrôles sur les activités de leurs citoyens

Les organismes vivants ont compris ce principe depuis les premiers balbutiements de la vie. Les structures du vivant permettent aux cellules des organismes d’évoluer librement : l’organisme ne contrôle pas les cellules qui la composent.

Les villes ne contrôlent pas leurs citoyens ni leurs interactions.

Et les compagnies ? En croissant, elles grossissent, négligent leurs infrastructures et tentent à tout prix de contrôler leurs employés.

Et meurent.

Éventuellement. Enfin, si on se fie aux multiples études citées par G. West, les livres de Jim Collins  les listes de Fortune 500 depuis le début de cette initiative et bref… toute l’histoire des compagnies. À peu d’exception près, elles meurent toutes ou sont fusionnées à d’autres… qui meurent aussi.

Message ? Le contrôle n’est peut-être pas la solution.

Mais…

Mais… je vous entends déjà (oui, oui, je sais, j’entends beaucoup de choses) me dire que le contrôle est essentiel et qu’on ne peut laisser aux employés le soin de gérer la grande complexité de nos organisations.

« I beg to differ » comme le disent si éloquemment nos cousins anguleux…

J’ai découvert au fil de mes lectures et grâce à mon réseau de connaissances un auteur que peu de gestionnaires connaissent Douglas McGregor. Son livre « The human side of enterprises » est un classique  sous-estimé de la littérature de management.

McGregor y décrit sa théorie des X/Y.

Pas la génération X (dont je fais partie ) et des Y (que trop de gestionnaires dénigrent). McGregor a élaboré sa théorie dans les années de l’après-guerre en regardant les dommages collatéraux du taylorisme. 

Attention, Frédéric Taylor a grandement contribué à notre style de vie contemporaine en améliorant l’efficacité des usines manufacturières. La dégradation des conditions de vie dans ces mêmes usines n’est certainement pas à négliger, mais rien dans son livre sur les principes de management n’allait dans cette direction. McGregor observait simplement les effets pervers de ces principes.

McGregor voyait donc deux types d’employés dont les comportements sont résumés dans le tableau suivant

Theory X and YChaque fois que je présente ces comportements, les gens dans la salle associent immédiatement des noms aux deux catégories. La même chose se produit probablement dans votre esprit au moment de lire ces lignes.

Le grand Gérard est un X, la petite Julie est un X, Raymond est un Y, ah oui, Clémence aussi et ainsi de suite.

Et vous?

Vous êtes un X ou un Y ?

Réfléchissez bien…

J’admets que les gens qui lisent mes textes de plus de 1000 mots sont en général des Y.

Faites maintenant un test

Cessez la lecture de ce texte et posez la question à vos collègues. Ne leur demandez pas de vous répondre verbalement. Offrez-leur un post-it et demandez-leur d’écrire un Y ou un X dessus et de mettre le post-it dans une enveloppe.

Faites le tour de votre équipe et retournez à votre bureau pour compiler les résultats. (Je vous jure que tout le monde voudra savoir le résultat lors de votre prochaine réunion d’équipe.. quel début de réunion stimulant!!)

Relevez le défi cette semaine !

La suite est ici


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Crédit photo : Ash Edmonds sur Unsplash